La simulation numérique haute-fidélité de la rentrée atmosphérique est essentielle pour pouvoir développer et améliorer les nombreuses applications spatiales civiles et militaires. Les ingénieurs ont besoin entre autres de connaître la pression et le flux de chaleur qui s’exercent sur les véhicules spatiaux au cours de la trajectoire complète de rentrée. Bien que les outils numériques permettant de simuler les écoulements à basse et haute altitude ont été largement validées ces dernières années leur couplage pour simuler les écoulements à la limite du régime continu et raréfié peut s’avérer complexe voire instable numériquement. C’est pourquoi nous nous intéressons à développer des schémas numériques permettant de simuler à la fois les écoulements denses et raréfiés. L’intérêt de ce nouvel outil numérique intervient dans le développement des technologies spatiales européennes d’aujourd’hui et de demain :
- Les nouvelles générations de capsules spatiales seront conçues avec un bouclier thermique flexible replié sur lui-même lors de leur intégration dans les fusées qui se déploiera lors du largage de la capsule à très haute altitude. La réduction du diamètre des capsules entrainera une réduction de la taille des fusées et donc permettra de faire des économies. Ces nouvelles technologies seront essentiellement orientées vers la conception de matériaux de protection thermique flexibles qui se déformeront avec la pression dynamique lors de la descente dans l’atmosphère.
- Les satellites de télédétection à haute résolution qui descendent à basse orbite sont actuellement contraints par l’action des forces de friction qui peuvent affecter leur mise en orbite et la précision des instruments de mesure. Anticiper les forces de trainée et de friction autour des satellites en atmosphère raréfiée est donc essentiel.
- La dégradation totale des débris spatiaux lors de leur rentrée atmosphérique doit être anticipée lors de la réalisation des objets qui partent dans l’espace.
- Les lanceurs des fusées éjectent leur gaz de combustion dans l’atmosphère pouvant contaminer l’arrière corps de la fusée et/ou de la charge utile. De plus, ces jets propulsifs caractérisent la signature optique et radar des fusées et la qualité des communications radios avec le sol. Ces effets sont encore mal modélisés à haute altitude, c’est-à-dire quand un jet dense interagit avec une atmosphère raréfiée.
- Prévoir les performances des souffleries supersoniques et hypersoniques raréfiées européennes. En général au sein des souffleries raréfiées un gaz dense se raréfie lors de sa détente dans la tuyère. Mais actuellement pour reconstruire les essais seul des simulations CFD sont effectuées. Ce nouvel outil numérique pourrait prendre en compte les aspects de raréfaction locale pour les souffleries F4 de l’ONERA, MARHY du laboratoire ICARE du CNRS, ou STG-CT du DLR Göttingen.
Pour traiter ces points il est nécessaire de développer les outils numériques adéquats qui permettront de capturer automatiquement les effets de forts gradients quand un choc fort se développe, de raréfaction locale et de déformation de la surface de l’objet que l’on rencontre dans le cadre de la rentrée ou de la sortie atmosphérique depuis la très haute altitude à la basse altitude. A haute altitude l’air est si peu dense que le libre parcours moyen des molécules d’air est même ordre de grandeur voire plus grand que la taille de l’objet, rendant caduque l’hypothèse du milieu continu. Dans ces conditions raréfiées, les équations de Navier-Stokes ne sont plus valides et on doit considérer les interactions intramoléculaires régies par l’équation de Boltzmann. Mais la dimension élevée et la complexité de cette équation la rend très difficile à résoudre numériquement, la mise en place de schéma numérique très avancé est donc indispensable. Or, les méthodes de Monte Carlo sont bien adaptées pour résoudre les équations à grandes dimensions et la méthode de référence pour résoudre l’équation de Boltzmann est la méthode DSMC (Direct Simulation Monte Carlo). Mais le défaut principal des approches Monte Carlo est leur coût important pour simuler les gaz denses. C’est pourquoi des approches hybrides CFD-DSMC ont été développées pour effectuer des calculs CFD dans les zones denses et des calculs DSMC dans les zones raréfiées. Malheureusement, en présence de chocs forts et/ou de gradients élevés dans l’écoulement ces approches sont fortement influencées par la manière de découper ces zones et de les mailler.
Une alternative à ces méthode hybrides est le développement de solveurs unifiés pour résoudre les équations cinétiques de type Boltzmann-BGK, consistantes avec les équations de Navier-Stokes, permettant de capturer la physique de tous les régimes (du moléculaire libre au régime continu). En effet, ces dernières années Kun Xu et son équipe ont développé un schéma déterministe unifié, appelé UGKS (Unified Gas-Kinetic Scheme), pour la simulation des écoulements multi-échelles. Les principaux avantages de ce schéma sont qu’en plus de capturer naturellement la physique des écoulements raréfiés et continus il est basé sur la solution intégrale de l’équation cinétique BGK prenant en compte les processus multi-échelles de collision et de transport, ce qui implique que cette méthodologie n’est pas aussi contrainte par la taille du maillage et le pas de temps que la méthode DSMC. De plus, Kun Xu et son équipe l’ont amélioré en proposant un schéma combinant les avantages des méthodes déterministes et stochastiques, appelé UGKWP (Unified Gas-Kinetic Wave Particle). En effet, pour diminuer le coût en mémoire dû à la discrétisation de l’espace des phases la partie transport, c’est-à-dire le déplacement libre des particules d’air, est gérée de manière stochastique. L’applicabilité de ces deux méthodologies pour simuler à la fois les écoulements denses et les écoulements raréfiés a été démontrée dans le cadre d’un stage à l’ONERA qui s’est effectué début 2024. A titre d’exemple on montre sur la Figure 1 deux résultats de simulation d’un écoulement d’Argon à Mach 5 autour d’un cylindre où le nombre de Knudsen vaut respectivement 10-4 (régime dense) et 1 (régime raréfié).
L’objectif de la thèse est de développer à partir du schéma unifié de Kun Xu un schéma unifié pour simuler les écoulements multi-espèces réactifs. Le doctorant commencera par mener une étude bibliographique sur les différents schémas unifiés de la littérature. Il s’intéressera particulièrement aux développements faits par Kun Xu et son équipe permettant de simuler un écoulement dans tous les régimes, c’est-à-dire du régime moléculaire libre au régime continu [1, 2, 3]. Il implémentera dans un code Volumes Finis parallélisé le schéma unifié de Kun Xu et validera son développement à travers quelques cas d’épreuve 1D et 2D. Ensuite, le doctorant étendra le modèle BGK mono-espèce de Kun Xu aux écoulements multi-espèces, en particulier il sera amené à effectuer un développement de Chapman-Enskog pour vérifier que le modèle étendu préserve le régime Navier-Stokes. Enfin, il s’intéressera à la manière de prendre en compte les réactions chimiques avec le modèle BGK et l’intégrera au modèle BGK multi-espèces.
Les développements mathématiques, informatiques et leur mise en œuvre à travers des simulations d’écoulements multi-espèces réactifs 1D et 2D conduiront à des communications lors de congrès internationaux et à des rédactions d’articles scientifiques.
[1] K. Xu and J-C Huang, A unified gas-kinetic scheme for continuum and rarefied flows, Journal of Computational Physics, 229, pp 7747-7764, 2010.
[2] Y. Zhu, C. Zhong, and K. Xu, Implicit unified gas-kinetic scheme for steady state solutions in all flow regimes, Journal of Computational Physics, 315, pp 16–38, 2016.
[3] Y. Wei J. Cao, X. Ji, and K. Xu. Adaptive wave-particle decomposition in UGKWP method for high-speed flow simulations. arXiv e-prints:2303.13108, 2023.