La simulation numérique haute-fidélité des écoulements de jets propulsifs et de rentrée atmosphérique est essentielle pour pouvoir développer et améliorer les nombreuses applications spatiales civiles et militaires. Les écoulements rencontrés sont chauds, réactifs et diphasiques. Ces dernières années l’ONERA s’efforce d’améliorer et de valider ses outils numériques pour des conditions de vol allant de la très haute altitude (>100 km) à basse altitude. A basse altitude, une approche CFD de type Reynolds-Average Navier-Stokes (RANS) est typiquement utilisée car elle présente un bon compromis entre la précision et temps de restitution. A haute altitude, lorsque les équations de Navier-Stokes ne sont plus valides, une approche plus coûteuse de type DSMC (Direct Simulation Monte Carlo) est mise en œuvre. A une altitude intermédiaire, c’est-à-dire à la limite du régime continu et raréfié (à partir de 80km d’altitude), nous avons développé une méthodologie de couplage CFD-DSMC [1, 2]. L’intérêt du couplage CFD-DSMC intervient dans le développement des technologies spatiales européennes d’aujourd’hui et de demain :
- Pour concevoir les véhicules spatiaux qui rentrent dans l’atmosphère, les ingénieurs doivent connaître la pression et le flux de chaleur qui s’exercent autour de l’objet au cours de la trajectoire complète de rentrée.
- Les lanceurs des fusées éjectent leur gaz de combustion dans l’atmosphère pouvant contaminer l’arrière corps de la fusée et/ou la charge utile. De plus, ces jets propulsifs génèrent des signatures optiques et radar d’intérêts pour la télédétection des fusées et peuvent perturber la qualité des communications radios avec le sol. Ces effets sont encore mal modélisés à haute altitude lorsqu’un jet dense interagit avec une atmosphère raréfiée.
- Prévoir les performances des souffleries supersoniques et hypersoniques raréfiées européennes. En général au sein des souffleries raréfiées, un gaz dense se raréfie lors de sa détente dans la tuyère. Dans ces conditions, seules des simulations se basant sur un couplage hybride CFD-DSMC permettraient de rendre compte à la fois des phénomènes aérothermodynamiques dans les zones denses et les zones raréfiées. On peut citer par exemple le cas des souffleries raréfiées européennes suivantes : F4 de l’ONERA, MARHY du laboratoire ICARE du CNRS et STG-CT du DLR Göttingen.
Pour traiter ces problématiques, il est nécessaire de faire évoluer les outils numériques de l’ONERA. Ils doivent répondre entre autres aux problématiques de gaz réels en déséquilibre thermique et chimique et de multi-échelles (raréfaction locale, turbulence) que l’on rencontre dans le cadre de la rentrée ou de la sortie atmosphérique entre la très haute altitude et la basse altitude. A haute altitude l’air est si peu dense que le libre parcours moyen des molécules d’air est du même ordre de grandeur voire plus grand que la taille de l’objet, rendant caduque l’hypothèse du milieu continu. Dans ces conditions raréfiées, les équations de Navier-Stokes ne sont plus valides et on doit considérer les interactions intramoléculaires régies par l’équation de Boltzmann. Mais la dimension élevée et la complexité de cette équation la rend très difficile à résoudre numériquement, et la mise en place de schéma numérique très avancé est donc indispensable. Or, les méthodes de Monte Carlo sont bien adaptées pour résoudre les équations à grandes dimensions et la méthode de référence pour résoudre l’équation de Boltzmann est la méthode DSMC. Le défaut principal des approches Monte Carlo est leur coût important pour simuler les gaz denses. C’est pourquoi des approches hybrides CFD-DSMC ont été développées pour effectuer des calculs CFD dans les zones denses et des calculs DSMC dans les zones raréfiées.
Cette approche hybride CFD-DSMC a démontré son applicabilité dans le cas de simulations à l’équilibre thermodynamique d’une détente d’un gaz dans une tuyère [1] et de jets de moteur-fusée à l’échelle 1 [2]. Or, dans le cas d’une forte détente ou bien quand le libre parcours moyen du gaz est suffisamment grand, le temps de relaxation vibrationnel peut être du même ordre de grandeur voire plus grand que le temps caractéristique aérodynamique du fluide donnant lieu au phénomène de figeage vibrationnel. Une partie de l’énergie interne du gaz reste dans les niveaux d’énergie de vibration des molécules faute d’un nombre de collisions suffisant. Ce phénomène a une conséquence sur la répartition de l’énergie du gaz et donc sur la topologie de l’écoulement. Le but de cette thèse sera principalement d’étendre la méthodologie de couplage hybride aux équations de Navier-Stokes multi-température (MTE).
Ainsi, l’objectif de la thèse est la mise en place d’une méthodologie hybride MTE-DSMC capable de simuler de manière fidèle la rentrée atmosphérique d’un véhicule et les jets propulsifs de moteurs-fusées à l’échelle 1. Le doctorant commencera par effectuer une étude bibliographique sur la simulation à haute vitesse de la rentrée atmosphérique et des jets en atmosphère raréfiée. Puis, il prendra en main les codes CEDRE (CFD) et SPARTA (DSMC) en rejouant les cas qui ont permis de valider le couplage CFD-DSMC. Ensuite, en s’inspirant de ce qui a été fait pour le couplage CFD-DSMC il mettra en œuvre le couplage hybride MTE-DSMC. Enfin, il appliquera la méthodologie de couplage sur des cas de référence de la littérature. On pourra considérer par exemple le cas de la rentrée du véhicule expérimental RAMC, et de l’écoulement de détente de la soufflerie hypersonique à haute enthalpie F4 de l’ONERA (cf. Figure 1).
Suite à cela, le doctorant cherchera à améliorer les autres modèles physiques intervenant lors des différentes étapes du calcul comme la prise en compte de la chimie de l’écoulement. Le schéma cinétique utilisé à l’ONERA pour reproduire la post-combustion et l’ionisation des gaz dans le calcul RANS devra être transposé au calcul DSMC. Il faut donc reproduire les effets d’ionisation avec un nombre limité de réactions. Pour cela un travail bibliographique et de réduction de modèle devra être mis en place pour développer un schéma adéquateLes développements, la mise en œuvre et les comparaisons avec des résultats de la littérature conduiront à des communications lors de congrès internationaux et à des rédactions d’articles scientifiques.
[1] V. Charton, A. Awad, and J. Labaune, “Optimisation of a hybrid NS–DSMC methodology for continuous-rarefied jet flows,” Acta Astronautica 195, 295–308 (2022).
[2] A. Clout, A. Langenais, Y. Dauvois, L. Mieussens, and J. Labaune, “Hybrid NS-DSMC simulation of a full scale solid rocket motor reactive exhaust at high altitude,” in 10th EUCASS (2023).